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Résister au sarko-lepénisme par Denis Sieffert

dimanche 25 décembre 2005

Illustration l’affiche polémique d’Act up Pressions et répressions contre une affiche qui dérange

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Résister au sarko-lepénisme par Denis Sieffert

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Depuis longtemps nous connaissons ce paradoxe : les « idées du Front national » ne sont jamais plus vivaces que lorsqu’elles s’échappent du Front national. Jamais elles ne sont plus redoutables que lorsqu’elles sont reprises par des adversaires vrais ou déclarés de M. Le Pen. La raison en est simple : le personnage a proféré tant d’horreurs qu’il demeure infréquentable pour l’immense majorité de nos concitoyens. Or, voilà qu’un récent sondage semblerait contredire cette loi d’airain de la vie politique française (voir aussi sur le sujet le bloc-notes de Bernard Langlois). En 2005, les Français ne seraient plus que 66 % ­ au lieu de 70 % trois ans auparavant ­ à considérer que le FN et son président représentent « un danger pour la démocratie » (1). Plus précis encore : 25 % approuveraient son discours sur les banlieues. Rappelons que ce discours repose sur l’amalgame « violence (ou délinquance) égale immigration », et qu’il se fonde sur un déni de nationalité, puisque le leader du FN récuse l’acquisition de la nationalité française par le droit du sol. Autrement dit, un Arabe est toujours un étranger, sauf peut-être quand il est au FN. Et encore ! Ce sondage est-il tellement étonnant ? Contredit-il vraiment la loi ci-dessus énoncée ? Non, évidemment. Car avant de revenir à leur auteur, et de lui assurer une intéressante plus-value dans l’opinion, les « idées » de M. LePen ont fait une escapade « rafraîchissante » du côté de l’UMP, où elles ont nourri le discours du ministre de l’Intérieur. Celui-ci les a atténuées, recyclées, apaisant par là même les consciences douloureuses. Un seul exemple. Quand M. Sarkozy se promet d’expulser des étrangers en situation régulière parce qu’ils auraient été mêlés aux violences urbaines, il se tient à peine un cran en dessous du leader du FN. Mais sa pensée ressortit à la même logique. C’est l’idée qu’il doit y avoir un traitement particulier selon l’origine. Le délinquant ne serait plus seulement un délinquant passible comme tel des tribunaux ; il lui serait réservé de surcroît un sort en raison de son ascendance vécue comme un fait aggravant.

L’affaire n’est évidemment pas franco-française. Les néoconservateurs américains sont passés par là. Ils ont imprimé leur vision, ethniciste et culturaliste. Ce ne sont pas tant les « idées » du Front national qui occupent à présent le centre-droit de notre espace politique que celles des adeptes du « choc des civilisations ». Mais le déplacement est d’autant plus sensible que rien ni personne n’y résiste. Sauf dans une sorte de râle dénonciatoire. C’est mal. C’est raciste. C’est Le Pen. Autrement dit, la circulation des idées ethnicistes ne résulte pas seulement de l’énergie politique de ceux qui les font circuler. Elle dépend aussi de l’existence et de la résistance d’une autre grille de lecture. S’il n’y a pas d’alternative idéologique, la porosité aux idées essentialistes ou racialistes est infinie. Hélas, si la gauche limite trop souvent son opposition à une posture morale, c’est peut-être qu’elle-même n’est pas en mesure de réimposer sa propre lecture des événements. C’est la petite phrase entendue ces temps-ci après les sorties de Sarkozy, ou de son philosophe préféré, Alain Finkielkraut : « Ils n’ont pas tout à fait tort. »

La fronde qui monte ces jours-ci au sein du parti socialiste, orchestrée par un certain nombre de militants de base transcourants réunis dans une association, « Prairial 21 », est à cet égard édifiante. Le mérite de ces militants est au moins de pointer l’incapacité du PS à opposer une autre logique à la doctrine sarko-lepéniste. Depuis neuf mois, ils demandent un débat sur les discriminations. Pas de réponse. Ils demandent qu’un secrétaire national soit chargé de la lutte contre les discriminations au sein d’une direction qui n’est pourtant pas avare en responsables nationaux (on en dénombre 101). Pas de réponse. Ils souhaitent la création d’un « atelier » sur l’égalité des chances. Pas davantage de réaction. Ils voudraient savoir ce que leur parti pense de la discrimination positive. Silence dans les rangs.

On devine bien les causes de l’embarras de la direction du parti socialiste. Bien que les trublions ne fassent que poser des questions, ils mettent aussi en évidence la superposition idéologique des discriminations raciales et sociales. Dans leur lettre à François Hollande, les militants (pas tous « beurs » contrairement à ce qu’indique le titre d’un article du Monde) écrivent au Premier secrétaire que « les événements récents ont mis au jour le niveau insoutenable des discriminations subies par des millions de nos concitoyens : à l’embauche, au logement, aux loisirs et en politique ». C’est assez clair. L’innocent questionnement appelle une réponse politique en rupture totale avec les « idées du Front national ». Il n’y a malheureusement pas trente-six solutions. Si l’on renonce au combat social, alors les pauvres ne sont plus que des déviants qui refusent la norme libérale en raison d’on ne sait trop quel atavisme coupable. Et il n’est jamais trop tard pour les expulser.

(1) Sondage TNS-Sofres pour le Monde et RTL publié le 14 décembre.

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