A s’en tenir aux faits, deux certitudes incontournables demeurent dans la tragédie de Clichy sous Bois ; D’une part, il n’y a jamais eu de cambriolage ayant nécessité la venue de la police, mais un (banal ?) contrôle d’identité. D’autre part, afin d’y échapper, deux jeunes mineurs sont morts électrocutés dans un transformateur d’EDF où ils étaient venus trouver refuge.
Il s’en est suivi trois nuits d’échauffourées, dont deux dignes d’une véritable guérilla urbaine, et un jet de grenade lacrymogène, du type de celles utilisées par les CRS, en direction d’une mosquée, dont on nous dit ne pas savoir qui en aurait été l’auteur.
Absurdité, incompréhension et manipulation, tels sont les tragiques constats que nous devons tirer de ce drame.
Absurdité : celle d’une mort de deux victimes innocentes, apparemment affolées à la vue d’un contrôle policier.
Incompréhension : celle des « bons citoyens » face aux « autres », de la ville par rapport à la banlieue, des générations entre elles, de l’Etat face à l’individu, du monde politique avec celui de la société civile. La liste serait bien longue.
Manipulation : comment, en effet, appeler autrement la visite du ministre de l’Intérieur, la veille des incidents, à Argenteuil, caméras, appareils photos et garde du corps aux poings, assurant qu’il « est là pour éradiquer la gangrène (et qu’) on va vous débarrasser de cette bande de racaille » ? Après sa promesse de « nettoyer les cités au Karcher » et de « débarrasser la France des voyous », il faudrait être bien naïf pour ne pas voir dans de tels propos la volonté d’un homme politique, présidentiable hautement déclaré, de s’inscrire dans une surenchère ultra sécuritaire dans le but d’appâter un électorat déboussolé, par ailleurs sous le charme des sirènes du Front national. On se souvient d’un Charles Pasqua promettant de « terroriser les terroristes » avec l’insuccès que l’on sait !
La course aux voix, et sa suprématie sur Dominique de Villepin, telle parait être la téléologie de Nicolas Sarkozy.
Qu’il y ait des trafiquants organisant une zone de non droit, dans le but de faire fructifier une économie souterraine, est évident. Mais entretenir l’amalgame et donner des cités, plus particulièrement des jeunes d’origine étrangère, l’image d’une délinquance invétérées, est irresponsable et dangereux. Car, si des organisations maffieuses ont pu prospérer, aux sus et à la vue de tous, c’est bien parce qu’aucune volonté politique résolue n’ait entendu y mettre bon ordre. Ce que l’on feint de découvrir aujourd’hui existe depuis plus de vingt ans.
Au fil du temps, la banlieue s’est nourrie d’exclus rejetés par des métropoles devenant, par choix électoral, des villégiatures de privilégiés. Loyers trop chers, logements sociaux en nombre insuffisant, liés à une raréfaction foncière favorisant la spéculation, les classes populaires n’ont eu d’autres issues que d’émigrer aux périphéries, de plus en plus lointaines générant une urbanisation à deux vitesses et des inégalités allant de paire. Ainsi, en Seine Saint Denis, sur un total de 1.382.861 habitants, seuls 674.000 sont considérés comme actifs. Plus de la moitié perçoivent une allocation de la Caisse d’allocation familiale et 30,1 % vit en dessous du seuil de pauvreté (moins de 590 € par mois). 63 % des habitants sont locataires d’un logement social. 28 % ont moins de 20 ans (38,6 % à Clichy sous Bois). Quant au taux de chômage, il augmente plus vite que dans le reste de l’Ile de France.
Des sauvageons à la racaille
Ce n’est pas un hasard si les incivilités frappent, au premier chef, les symboles de la puissance publique (pompiers, police, services de secours, postes). Car ces jeunes, que l’on nous présente, hier comme des sauvageons (Chevènement), aujourd’hui comme des racailles, se sentent rejetés de l’ordre républicain et, au mieux, frappés du sceau de l’insulte et du mépris par un Etat se voulant l’émanation des seuls « honnêtes gens » pour la tranquillité desquels l’idéologie sécuritaire vaut tous les argumentaires.
Nous sommes en présence d’une véritable crise de civilisation contre laquelle la seule répression, si forte soit-elle, est d’autant plus inefficace qu’elle démontre notre incapacité à restructurer un corps social de plus en plus éclaté.
Nos sociétés occidentales sont frappées par une vacuité du sens. L’instant, déconnecté de toute chaîne signifiante, et l’individu, niant toute notion d’altérité, sont érigés en vertus cardinales. Nous avons été englués dans un arraisonnement du monde à la technique, policière en la circonstance.
Ainsi, le drame de Clichy sous Bois verra se développer sa cohorte de vidéosurveillance (nouveau dieu de la sécurité), de flash ball, de CRS et autres gardes-mobiles, générant un nombre croissant d’interpellations et de fortes peines de prison ferme dont on sait, pourtant aujourd’hui, quelles sont le plus sur moyen d’entretenir les réseaux maffieux.
Renouer le dialogues parait impossible, réinvestir ces lieux de déshérence semblent improbable. Au demeurant, il n’est pas sur que ce soit une priorité. Nous avons tous compris que, d’ici 2007, seule compte la course à la présidentielle avec son cortège de destins individuels dont la victoire dépend, avant tout, des ratés de l’adversaire, ou d’une mise en scène de la peur, et non de solutions à entreprendre pour changer l’ordre des choses.
Clichy sous Bois ne marque pas seulement l’échec d’une politique menée depuis 2002 par Nicolas Sarkozy mais bien celui d’une classe dirigeante déconnectée des réalités quotidiennes et incapable d’inverser le cours des évènements.
Aussi, est-il à craindre de voir s’installer à l’Elysée le vainqueur d’un combat sans âme dans un pays où l’avenir ressemblera, à s’y méprendre, au post humain d’un monde à la Dantec.
Pendant ce temps, le communautarisme prospérera jusqu’à devenir le seul univers des jeunes désoeuvrés dont les révoltes n’auront d’autres issues que de se foudre en révolution. Au grand étonnement de tous.